Si ce terme semble parfois devenir un gros mot, il n’est pas moins que le moyen de désigner une nouvelle technologie, un nouveau mécanisme. Par conséquent, « la blockchain est un mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification »[1]. De manière bien plus schématique et encore plus accessible, le mathématicien Jean-Paul DELAHAYE, pour définir la blockchain donne l’image « d’un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible »[2].
En outre, plusieurs notions fondamentales propres à la blockchain méritent d’être précisées dès à présent. D’abord, il ne faut pas confondre blockchain et bitcoin. Le bitcoin est une monnaie qui repose sur la blockchain comme support, mais si le bitcoin ne peut exister sans la blockchain, l’inverse est en revanche tout à fait possible. Par ailleurs, il convient de préciser d’une part les caractéristiques fondamentales de la blockchain, et d’autre part, les propriétés qui lui sont propres. Concernant les caractéristiques fondamentales de la blockchain, il faut savoir que la blockchain est « distributive », c’est-à-dire qu’elle va parcourir différents dispositifs électroniques – smartphones, tablettes – appelés « nœuds de réseau »[3]. C’est de ce fait que l’on parle de « chaîne de bloc ». De plus, une autre caractéristique est celle de l’absence d’organe de contrôle ainsi que de tiers de confiance[4]. Autrement dit, chaque nœud de réseau est présumé être aussi fiable que les autres, c’est une absence de hiérarchie totale, qui peut être effrayante pour le monde des juristes. Enfin, il faut avoir à l’esprit qu’un bloc correspond à une unité d’information. Ce qui est très intéressant, c’est que la nature de cette unité d’information peut être extrêmement variée[5].
En effet, cela peut être un support pour une transaction financière – l’exemple du Bitcoin – mais cela peut être un contrat, une attestation, un certificat. Cette dernière caractéristique est importante si ce n’est la plus importante pour la suite de ce travail de recherche, dans la mesure où les documents figurant au sein des contrats de la commande publique sont extrêmement variés, divers, et une technologie permettant de stocker et d’échanger de façon sécurisée ces documents peut être extrêmement attrayante. De surcroît, la blockchain présente certaines propriétés qui la différencie d’autres technologies, et qui, comme nous le verrons par la suite, sont à la fois source de progrès comme de frein. D’abord, une des propriétés fondamentales de la blockchain, c’est sa transparence. En effet, « le contenu des blocs est généralement lisible par tous, y compris par des acteurs n’intervenant pas dans son fonctionnement »[6]. Néanmoins, il conviendra de nuancer cela par la suite. En outre, autre propriété propre à la blockchain : son immuabilité. Lorsqu’un bloc constitué d’une unité d’information est intégré dans une blockchain, il est « condamné » à y rester et sa trace est ineffaçable[7]. Comme nous le constaterons par la suite, ces deux propriétés sont les « meilleurs » comme les « pires » atouts de la blockchain.
Nous ne sommes pas sans savoir que depuis plusieurs années, et sous l’influence des directives européennes[8], une des priorités en terme de commande publique demeure la dématérialisation et la transparence des procédures liées à la passation des contrats de la commande publique. Si l’arrêté du 22 mars 2019 vient préciser les éléments attendus permettent de garantir ces moyens de communication électronique, encore faut-il la technologie, le processus, permettant la mise en œuvre de ces éléments, et surtout, le respect de cette mise en œuvre. En effet, un des problèmes que l’on rencontre souvent avec « la digitalisation » de notre économie, demeure le respect des mesures prises pour y parvenir. Prendre des mesures en faveur de la numérisation est quelque chose de formidable, mais s’assurer que lesdites mesures sont respectées relèvent parfois de l’utopie[9]. C’est dans cette hypothèse que la blockchain devient assez intéressante et pertinente pour assurer cette exigence de dématérialisation. En effet, les quatre éléments précités demeurent assez simples à mettre en place, et c’est déjà le cas avec les plateformes dites de « profil acheteur » tel que PLACE pour les contrats émis par l’Etat. Néanmoins, posséder une technologie permettant de garantir tout à la fois la mise en œuvre de ces éléments et le respect de ces derniers, en passant par une uniformisant de l’ensemble de la transcription des données, semble tout de suite bien plus complexe, voire inenvisageable. Ainsi, comme le précise le Professeur S. Braconnier[10], « L’intérêt principal de cette technologie – la blockchain – est de permettre la réalisation de transactions numériques entre plusieurs acteurs sans l’intervention d’un tiers et de façon sécurisée ».
En guise de synthèse, la blockchain permet donc de prendre un document propre à un marché public, de le « hasher », et de l’insérer dans une chaîne de bloc. Tout ceci est réalisé par le pouvoir adjudicateur. Ensuite, l’opérateur économique disposant d’un accès à ce bloc, peut récupérer le document en toute sécurité et déposer à son tour un document. Bien évidemment, toutes les interventions sont enregistrées et stockées. Elles font office de moyen de preuve public pour le pouvoir adjudicateur[11].
[1] MARMOZ, Franck. Blockchain et droit. 2019
[2] DESPLEBIN, Olivier, LUX, Gulliver, et PETIT, Nicolas. Comprendre la blockchain : quels impacts pour la comptabilité et ses métiers ?
[3] MARMOZ, Franck. Blockchain et droit. 2019
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE ; Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession
[9] Périne Brotcorne, « Digitalisation des services publics : la face sombre », Revue Quart Monde, 248 | 2018/4, 4-7
[10] Contrats et Marchés publics n° 1, Janvier 2020, « Blockchain et commande publique », Fiche pratique sous la direction de Stéphane BRACONNIER professeur à l’université Paris II (Panthéon Assas)
[11] Ibid.